La chaine d’approvisionnement a connu plus d’un soubresaut à la suite de la pandémie de COVID-19. Malgré les difficultés, la situation actuelle est une occasion de repenser son fonctionnement pour le plus grand bénéfice des entreprises et de leurs produits.
Personne n’aurait pensé il y a trois ans que la chaine d’approvisionnement vivrait une crise d’identité alors que tout semblait fonctionner comme sur des roulettes. Une pandémie plus tard, elle s’est remise des pires bouleversements, comme les ruptures de stock et l’explosion des prix des conteneurs. D’autres difficultés se sont cependant ajoutées. Les coûts de production ont dramatiquement explosé avec l’inflation tandis que les problèmes de main-d’œuvre et la hausse des taux d’intérêt s’ajoutent à l’équation.
Malgré tout, les entreprises doivent continuer à respecter les mêmes standards de qualité, tout en s’alignant sur les préoccupations des consommateurs sur la provenance de leurs aliments et leur empreinte carbone. Elles doivent également se plier aux exigences des bailleurs de fonds et de leurs clients.
« Si les défis peuvent parfois paraitre insurmontables, il existe des moyens pour répondre aux attentes des consommateurs tout en devenant une entreprise plus responsable », ajoute Éric Waterman, vice-président, Agroalimentaire chez Inno-centre.
En comparant la situation prévalant dans la chaine d’approvisionnement avant et après la pandémie, le constat qui s’impose est que le niveau de risque auquel les entreprises sont exposées n’est plus le même et qu’il faudra s’y faire. « Il y a eu une rupture importante de la structure de la chaine d’approvisionnement et ça ne reviendra pas comme avant », estime Benoit Larouche, conseiller d’affaires principal chez Inno-centre et spécialiste en gestion des chaines d’approvisionnement.
La chaine s’est brisée à deux niveaux selon lui. En premier lieu lorsque les ruptures de stock ont remis en question la manière dont on gère l’approvisionnement, ce qu’on appelle le quand-quoi-comment. « On s’est rendu compte que de faire affaire avec l’international pouvait générer toutes sortes de problèmes, par exemple avec le fonds de roulement ». La chaine s’est aussi rompue lorsque l’importance de la logistique a été remise à l’avant-plan, que ce soit dans la gestion des dates de péremption ou des stocks. « Ce sont des coûts qui ont des conséquences sur l’entreprise », rappelle M. Larouche.
En plus des incertitudes quant à la chaine d’approvisionnement elle-même, de nouveaux éléments s’ajoutent, tels que le contexte géopolitique qui accroît l’incertitude en affaires. La guerre en Ukraine, par exemple, a engendré des bouleversements importants relativement aux prix de certaines denrées de base comme les céréales et les huiles végétales. Les tensions politiques entre le Canada et l’Inde ces dernières semaines en sont une autre illustration. « On se rend compte que la délocalisation telle qu’on l’a connue depuis 40 ans a des limites », expose Ghislain Ouimet, conseiller d’affaires principal chez Inno-centre et expert en gestion des opérations.
D’autre part, les bailleurs de fonds que sont le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ), Investissement Québec, ou encore les institutions financières, imposent de nouvelles exigences en rapport avec les normes environnementales. Ces dernières se veulent des actions concrètes pour limiter les changements climatiques qui auront des impacts pour tous les acteurs de la société. « Est-ce que le tissu manufacturier québécois est prêt à y faire face ? Je ne suis pas sûr », ajoute M. Ouimet. Avec un milieu d’affaires composé en partie par de très petites entreprises, ces dernières n’ont pas nécessairement les capacités ni les connaissances pour faire face à ces changements, une réalité qui accentue les besoins d’accompagnement.
Les solutions sont cependant à portée de main. Elles demanderont notamment aux PME de repenser en profondeur leurs manières de faire, désormais en rupture avec les pratiques en cours avant la pandémie, afin de traverser les turbulences des prochaines années, constate M. Ouimet. « On fait face à un changement de paradigme ».
Pour Benoit Larouche, il y a de nombreuses occasions à saisir. Les entreprises manufacturières ont la possibilité de faire une pierre deux coups et même cinq coups, selon lui.
Avant la pandémie, les PME québécoises transigeaient à l’international, mais sans vraiment avoir pris pleinement conscience des coûts engendrés. La tendance inverse, incarnée par la régionalisation, comporte de nombreux avantages, indique l’expert. En délaissant les fournisseurs à l’étranger au profit de fournisseurs locaux, les entreprises reprennent le contrôle sur certains produits, que ce soit les délais de livraison liés à la distance ou la variation de la qualité des produits. Il existe aussi une culture d’affaires commune avec des fournisseurs locaux. La disparition de certains tracas administratifs est un autre élément qui pèse dans la balance.
« La régionalisation apporte une valeur ajoutée, est plus agile et permet de nouer de bonnes relations avec les clients. En somme, elle minimise le niveau de risque tout en créant une chaine d’approvisionnement plus résiliente », déclare M. Larouche.
Il est par ailleurs bien plus simple de s’assurer d’une meilleure qualité des produits quand les fournisseurs sont à proximité. La mise en œuvre des mesures de traçabilité, par exemple, se fait beaucoup plus aisément.
Ghislain Ouimet plaide pour sa part pour un environnement d’affaires plus bienveillant en écartant les guerres de clochers qui ne bénéficient à personne. Des entreprises d’un même secteur pourraient mettre en commun l’achat de certains produits pour profiter de prix réduits, sans pour autant faire de compromis sur la qualité ou la formulation de leurs recettes.
Le conseiller donne en exemple les bocaux de verres utilisés par les entreprises québécoises qui proviennent tous de Chine et dont les dimensions sont standardisées. La livraison en commun pourrait s’avérer une autre solution en permettant l’accès à des produits plus frais aux clients en augmentant la cadence de livraison. La même logique pourrait s’appliquer aux ressources humaines, une denrée rare par les temps qui court, surtout quand on parle de personnes aux compétences pointues comme celles ayant une expertise en logistique de la chaine d’approvisionnement, un élément important quand on veut conserver ou instaurer des standards de qualité.
En somme, le modèle d’affaires vertical traditionnel devient horizontal. « Ce qu’on met en commun, ce sont les ressources, pas le savoir-faire. L’Association des microbrasseries est un bon exemple. Les microbrasseries se sont regroupées pour unir leurs forces tout en restant distinctives l’une de l’autre. Ça permet d’équilibrer les forces entre petits et gros joueurs ». Il vaut mieux selon, M. Ouimet, un secteur avec de nombreux joueurs plutôt que de jouer en solo. Ce type environnement d’affaires favorise aussi la création de fournisseurs de proximité, souvent un gage de qualité.
Regrouper les forces d’un secteur ou d’une région permet également de travailler dans le sens d’une tendance lourde, soit le concept de la ferme à la table. Au lieu de producteurs anonymes, ces derniers sont identifiés et publicisés. Ce modèle, qui mise sur la proximité entre la production et la consommation, permet de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES). Il met aussi de l’avant le bien-être animal ou des pratiques de production exemplaires. Les consommateurs demandent plus de transparence, posent plus de questions et s’interrogent relativement aux pratiques et démarches d’approvisionnement en raison d’une conscience accrue des changements climatiques. « L’appartenance au milieu devient de plus en plus importante. On se dirige même vers le microlocal », explique M. Ouimet.
Avec un contexte financier difficile, d’autres gestes très concrets peuvent être posés. Souvent, cela consiste à revoir certaines habitudes bien ancrées pour améliorer la balance commerciale d’une entreprise, comme privilégier les achats à bas coûts. Un examen approfondi des opérations et des achats donne de meilleurs résultats, de même que la vérification des coûts de production et de revient. Trop de petites entreprises québécoises négligent de faire ce genre d’exercices dans leur croissance estime M. Larouche. « Il faut cibler les fournisseurs stratégiques et mettre en place des actions concrètes comme l’assurance qualité, à laquelle on devrait procéder quatre fois par année. Bien souvent, les PME n’ont pas d’indicateurs pour contrôler leur performance et maintenir des standards durant toute l’année ».
Dans la même ligne de pensée, M. Ouimet suggère de définir les liens d’affaires. « L’ajout de cahiers de charge (devis), de demandes de certificats d’analyse pour les lots reçus et les processus de sélection et de certification des fournisseurs sont indispensables. Souvent les PME ne prennent pas le temps de cadrer les ententes. »
Il faut retenir que les outils de gestion font une différence et le coût ne devrait pas être une raison de s’en priver, ajoute l’expert.
Avec une chaine d’approvisionnement et un environnement d’affaires en mutation, les risques présents ne feront que croitre, surtout si les taux d’intérêt tardent à redescendre à court terme. Cette nouvelle normalité représente une occasion à saisir afin d’être en phase avec les tendances qui se développent, tout en revoyant les décisions d’affaires de l’entreprise, selon les meilleurs standards.
Une réflexion s’impose sur le réseau entourant la chaine d’approvisionnement et les risques actuels. Il faut profiter de l’occasion pour réfléchir aux décisions d’affaires et leurs conséquences sur l’entreprise, plaide M. Larouche. « Il faut comprendre l’importance que représente la chaine d’approvisionnement pour toute l’entreprise ».